Discours d’Alphonse Lamartine contre la peine de mort
Ce discours d’Alphonse Lamartine a été prononcé à la tribune de l’assemblée nationale le 15 mai 1834, à la suite de la discussion du projet de loi sur les détenteurs d’armes et de munitions de guerre.
M. de Lamartine : « Messieurs, que la Chambre me permette un seul mot en faveur de l’amendement contre la peine de mort. Je n’entrerai pas dans la question métaphysique de la peine de mort en elle-même ; je n’examinerai pas si la société a le droit d’ôter ce qu’elle ne peut rendre, cette vie que Dieu s’est réservé le droit et la puissance de créer. Dans l’ordre de la nature Dieu a laissé à l’homme la triste faculté de donner la mort, et la société étant nécessaire, elle a eu peut-être le droit du meurtre social ? Remarquez, Messieurs, que je dis peut-être !
Toute la question est dans ce mot peut-être, comme l’a judicieusement remarqué un philosophe dont le nom et l’autorité commencent à éclairer (M. Ballanche) ; la société n’est tenue qu’aux idées de l’époque où elle vit ; les vérités sociales ne lui arrivent qu’une à une, et sa conscience morale est en sûreté tant qu’elle se conforme à l’idée admise. Ainsi la nécessité de la peine de mort a été longtemps son dogme, et elle a pu tuer sans crime. Mais aujourd’hui la nécessité de la peine de mort, admise par les uns, contestée par les autres, est controversée par tous. Il y a donc déjà doute pour la société ! doute, Messieurs, dans une telle matière ! doute dans la vie de l’homme ! doute dans la main qui doit frapper de mort ! Le glaive hésite, qui oserait le faire tomber ? Aucune conscience éclairée, Messieurs. Du moment que le doute au moins est constaté, la société doit s’abstenir ; car la justice d’aujourd’hui pourrait être demain un crime !
Si cela est vrai en criminalité ordinaire, si cela est suffisant pour retenir la main du bourreau, combien plus vrai, Messieurs, en justice politique, combien plus vrai pour nous qui, avant d’avoir vécu âges d’hommes, avons vu tant de fois nos vertus transformées en crimes, nos crimes couronnés comme des vertus, et les cadavres de nos ennemis ou de nos complices passer trois fois du Panthéon aux égouts, et de nos égouts au Panthéon ! La justice politique ! quand ce n’est pas la vengeance, c’est de l’apothéose ; mais c’est toujours de la passion ! tremblons devant nous-mêmes, car nous voulons sincèrement n’être que justes.
La loi du talion est la loi des temps de barbarie ; marquons ce siècle par un signe qui le fasse reconnaître entre les siècles par l’abolition de la peine de mort. Quand elle est inique, c’est un crime, quand elle est juste, c’est…
Et pour nous, Messieurs, dans ces instabilités d’opinions et de fortunes qui nous agitent, et dans lesquelles nul de nous ne peut répondre de ne pas s’égarer, à la fin de notre carrière politique et de cette législature, qui pour beaucoup d’entre nous, sera la dernière, emportons au moins cette sécurité d’esprit, ce repos de conscience que notre main n’aura jamais jeté une boule dans la balance où se pose la vie d’un de nos semblables. Plusieurs princes de l’antiquité et des temps modernes firent ce vœu sublime en montant sur le trône, de ne jamais condamner un homme à mort. Le prince que vous avez élu a exprimé le même vœu. Aujourd’hui que le peuple règne aussi par ses représentants, qu’il les imite et qu’il abolisse cette peine qui déshonore trop longtemps l’humanité. »