Éloge funèbre de Benjamin Franklin par Mirabeau
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Cet éloge a été prononcé par Mirabeau le 11 juin 1790 à l’Assemblée Nationale Constituante. Ce sera le premier éloge funèbre prononcé au sein de l’Assemblée nationale. Mirabeau, approuvé par La Rochefoucauld et La Fayette, demande que l’Assemblée nationale prenne le deuil pendant une durée de trois jours.
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M. de Mirabeau : M. le Président je demande la parole avant l’ordre du jour : je ne la tiendrai que pendant deux minutes. (On demande encore l’ordre du jour.)
(M. de Mirabeau paraît à la tribune, au milieu des murmures tumultueux d’une partie de l’Assemblée.)
M. de Mirabeau : Franklin est mort… (Il se fait un profond silence.) Il est retourné au sein de la Divinité, le génie qui affranchit l’Amérique et versa sur l’Europe des torrents de lumières !
Le sage que deux mondes réclament, l’homme que se disputent l’histoire des sciences et l’histoire des empires, tenait sans doute un rang bien élevé de l’espèce humaine.
Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre ; assez longtemps l’étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites : les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs ; les représentants des nations ne doivent recommander à leurs hommages que les héros de l’humanité.
Le Congrès a ordonné, dans les quatorze États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l’Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l’un des pères de sa constitution.
Ne serait-il pas digne de vous, Messieurs de vous unir à l’Amérique dans cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu à la face de l’univers, et aux droits de l’homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre ? L’antiquité eût élevé des autels au puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. L’Europe, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l’un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.
Je propose qu’il soit décrété que l’Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.
(La partie gauche applaudit avec transport.)
MM. de La Rochefoucauld et de La Fayette se lèvent pour appuyer la proposition de M. de Mirabeau : tout le côté gauche se lève.
M. Moreau (de Tours). Je veux, non contredire la motion, mais la compléter.
M. Legrand : Je demande si M. Franklin est réellement mort, et si sa mort a été notifiée à l’Assemblée nationale par le Congrès ?
M. de Mirabeau. MM. de La Rochefoucauld et de La Fayette, amis de ce grand homme, ont été instruits de sa mort. Cette triste nouvelle a été écrite à M. de La Rochefoucauld par M. Landowsne. Ainsi cette perte n’est que trop sûre ; mais j’aurai l’honneur d’observer que si, par impossible, cette nouvelle est fausse, la sollicitude qu’on montre est de peu d’importance ; car votre décret ferait peu de peine à M. Franklin.
L’Assemblée adopte par acclamation la motion de M. le comte de Mirabeau et rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que ses membres porteront trois jours le deuil de Benjamin Franklin, à commencer de lundi prochain ; que le discours prononcé à cette occasion sera imprimé, et que M. Le Président écrira au Congrès américain au nom de l’Assemblée nationale. »