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C’est dans le prolétariat que le verbe de la France se fait chair

Jean Jaurès

« C’est dans le prolétariat que le verbe de la France se fait chair. »

Jean Jaurès – Chambre des députés : 4 décembre 1905

M. Jaurès : La liberté, c’est l’enfant de la classe ouvrière (Applaudissements sur divers bancs à gauche et à l’extrême gauche), née sur un grabat de misère, et de mine chétive encore, mais qui porte en soi une incomparable vitalité secrète et dont le regard de flamme appelle la liberté d’un monde nouveau.

Oui, Sembat avait raison de dire que trop souvent la beauté des chefs-d’œuvre où est condensé le génie de la France est pour les ouvriers, pour les prolétaires, ou trop ignorants encore ou dévorés par la besogne de chaque jour, un livre fermé. Mais ce n’est pas seulement par les livres, c’est par une tradition vivante et active que toute la pensée de la France s’incorpore peu à peu à l’esprit de la classe ouvrière, à l’esprit du prolétariat. Les ouvriers du XVIIIe siècle avaient très peu lu, et Voltaire et Rousseau et Diderot et l’Encyclopédie, et pourtant, lorsqu’au début de la Révolution, dans le cours de la Révolution, ils eurent besoin de défendre contre l’Église les libertés révolutionnaires naissantes, ils s’approprièrent, en quelques mois, toute la critique voltairienne, et c’est seulement dans les ouvriers de nos faubourgs qu’elle a gardé toute sa vivacité et toute son étincelle. (Applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. Massabuau : Rabelais avait précédé Voltaire.

M. Jaurès : ils n’avaient pas lu Jean-Jacques…

M. Charles Benoist : Heureusement !

M. Jaurès :… mais lorsque la Constituante créa des citoyens actifs et des citoyens passifs, lorsque le peuple eut besoin, pour défendre son droit, de proclamer l’entière démocratie, c’est lui et lui seul qu’il assimila et appliqua jusqu’au bout dans ses conséquences ultimes… De même les ouvriers n’ont pas eu besoin de lire ce qui, dans l’Encyclopédie, touche aux détails techniques de l’industrie, ce qui glorifie le travail manuel ; ils n’ont pas eu besoin de cette lecture pour prendre peu à peu conscience dans la démocratie, dans la patrie, de la dignité, de la beauté, de la puissance du métier manuel exercé par eux. Et maintenant, lorsque tous ensemble, syndicats fédérés aux syndicats, fédérations de métiers réunies aux fédérations de métiers, ils groupent, dans une organisation harmonieuse, toute la volonté de l’industrie ouvrière, ils réalisent une sorte d’encyclopédie vivante qui est l’accomplissement de l’Encyclopédie du XVIIIe siècle. (Applaudissements à l’extrême gauche.) Ainsi, Messieurs, ce n’est pas par la tradition des livres, c’est par la tradition de l’histoire que la pensée de la France s’incorpore à la substance même de la classe ouvrière. C’est dans le prolétariat que le verbe de la France se fait chair. (Exclamations à droite, Applaudissements à l’extrême gauche). J’ose dire, sans jouer des mots, que plus les ouvriers seront révolutionnaires, plus ils le seront délibérément, consciemment, plus ils comprendront aussi la nécessité de défendre toujours, de sauver toujours l’indépendance de la nation. (Très bien ! très bien ! et applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) Qu’est-ce que la Révolution ? C’est le suprême effort vers l’entière liberté politique et sociale. Et comment la liberté des individus serait-elle possible dans l’esclavage des nations ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) C’est pourquoi, Messieurs, vous n’avez pas besoin de redouter, pour l’indépendance et pour la sécurité de la patrie, la croissance révolutionnaire de la classe ouvrière organisée.

Voir aussi :

Discours contre la Guerre

Discours sur l’idée socialiste

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